Otoloto

Antonin Detemple

Le XXIe siècle a ceci d’extraordinaire qu’il marque un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité, et probablement de la vie même sur Terre. C’est les yeux écarquillés que j’observe le monde à travers tous les prismes qui me sont offerts. Anthropologie, économie, biologie, histoire(s), mythe ou astrophysique, sont autant de portes d’entrées me permettant de mesurer les catastrophes à venir, et chercher à parer celles-ci en imaginant de nouvelles places pour le vivant. Je positionne le déplacement au cœur des notions de vie et d’évolutions. L’expérience du voyage et la fabrication de gestes sont alors des méthodes de plus en plus présentes dans mon travail. Mes productions prennent la forme d’installations, de volumes et de tableaux, de film, de photographies ou d’éditions.

Dans un monde hyperglobalisé et interconnecté, j’aime saisir la beauté et la fragilité d’une rose du Kenya qui voyage en avion pour la Saint-Valentin, d’une langue qui traverse l’Atlantique, ou encore d’une graine de tournesol en dormance sous le permafrost du cercle polaire arctique. Parmi les multiples strates de complexité qu’offre notre époque, mon travail souhaite extraire des choses simples et parfois paradoxales qui posent le vivant au centre, tout en interrogeant la vaste histoire du capitalisme, de la colonisation et de la globalisation.

C’est par exemple avec le projet Anémochorie que je me suis intéressé au commerce de la fleur coupée et de sa production dans des pays tropicaux, comme le Kenya, l’Ethiopie, la Colombie, ou l’Equateur. La circulation des marchandises et du vivant qu’imposent les structures d’une société globalisées posent profondément les questions d’indigène, d’exogène, et d’entropie. Cette recherche m’a amené par la suite à effectuer des recherches en Martinique, autour de l’Ancien Jardin Colonial des Plantes de Saint-Pierre. L’essor des jardins botaniques au XVIIIe et XIXe siècle, autant que l’histoire du Naturalisme, sont à placer dans le contexte de l’impérialisme européen de cette époque. En cherchant à faire revivre les graines conservées dans les strates géologiques de l’ancien jardin de Saint-Pierre, ou en construisant un herbier le plus exhaustif possible des plantes présentes sur le site actuel, je cherche à donner au végétal le moyen de prendre sa place dans le règne du vivant et de repositionner les relations que l’on tisse avec elle. Une fois encore, j’utilise le végétal comme moyen d’étudier en profondeur nos modalités d’existences d’humains à humains et d’humains à environnement.

J’entame actuellement un cycle de recherche et de voyage à la Réserve Mondiale de Graines du Svalbard, dont la situation géographique, son fonctionnement technique et ses moyens de financement, me fascine par ses paradoxes liés à la privatisation du vivant et aux bouleversements climatiques.

Depuis des millénaires, c’est un voyage commun que nous effectuons avec les plantes, tantôt selon des prismes bienveillants, tantôt selon des prismes dominants. Comment le capitalisme et la colonisation des siècles passés ont abouti à un monde criblé de fractures, dont nous expérimentons aujourd’hui les limites ? Et comment cet héritage peut-il être repensé pour redonner au vivant et au non-vivant des places viables ?